Paires de Noël » Pour cette série des fêtes, La Liberté a réuni deux protagonistes de la scène sportive que les disciplines séparent mais qui ont un point commun, et les a invités à dialoguer. Thème du jour: l’arbitrage. Episode 2/6.

Elle est arbitre de football en Women Super League ainsi qu’en 2e ligue interrégionale. Il est directeur de jeu de hockey en ligue nationale. Laura Mauricio (27 ans) et Julien Staudenmann (42 ans), ancien joueur pro, ne se connaissaient pas avant la rencontre arrangée. Résultat? Une discussion passionnante de plus d’une heure.

Qu’est-ce qui fait un bon arbitre?

Laura Mauricio (LM): Je laisse parler l’expérience d’abord.

Episode 1/6: Nathalie Brugger et Audrey Werro se sont rencontrées pour la première fois

Julien Staudenmann (JS): Merci! Au hockey en tout cas, la communication verbale et non verbale constitue une bonne partie du succès d’un arbitre. Nous ne sommes pas là pour faire la police et arrêter le jeu à chaque petite faute. S’expliquer calmement quand on a pris la bonne décision, mais aussi la mauvaise, ça fait partie de l’arsenal d’un bon arbitre à mon avis. Je l’ai toujours apprécié en tant que joueur.

LM: C’est encore un peu plus difficile pour les arbitres de foot d’avouer leurs erreurs, la culture n’est peut-être pas tout à fait identique qu’au hockey. Mais c’est sûr que la gestion humaine d’un match est capitale.

D’où est née cette passion?

JS: Le hockey a été ma meilleure école de vie et continue de l’être. Quand tu mets un terme à ta carrière et que tu souhaites rester dans le milieu, il n’y a pas 36 chemins différents. Un jour, je passais du temps avec un de mes cousins: Alain Reist, lui aussi ancien joueur. Nous étions en train de discuter, accoudés en train de boire de l’eau minérale, comme d’habitude. Est venue sur la table la possibilité de se lancer dans l’arbitrage. C’était une époque où les anciens joueurs étaient activement recherchés. Nous avons tapé nos verres remplis d’eauet dit: «Départ!» J’ai essayé de faire des tartares, comme lui (Alain Reist a un foodtruck spécialisé en la matière, ndlr). Il m’a dit que j’étais nul et que je devais garder le sifflet (rires). Et voilà, j’en suis là aujourd’hui, à essayer de rendre un peu de ce que le hockey m’a donné.

LM: Je trouve génial que d’anciens joueurs deviennent arbitres. Je ne sais pas à quel point cela est fréquent au foot, mais je suis sûr que leur vécu aiderait sur un terrain.

«Tu as plutôt intérêt à connaître ton règlement comme il faut»
Julien Staudenmann

JS: C’est un énorme atout, j’en ai bénéficié à mes débuts et j’en profite encore aujourd’hui.

LM: Je peux imaginer que ça représente une sacrée plus-value de pouvoir dire à un joueur qu’on sait ce qu’il ressent car on a été à sa place. Pour ma part, n’ayant pas joué longtemps ni à un niveau élevé, c’est l’arbitrage qui a été mon école de vie. Ce n’est qu’en faisant une année de pause que j’ai pu réaliser à quel point cette adrénaline me manquait. L’arbitrage me permet de faire partie de matches que je n’aurais jamais pu jouer. Je fais partie du jeu que j’aime.

Comment agissez-vous face à un acteur qui vous insulte?

JS: Tout dépend du contexte et de l’image que le joueur donne au public. La frustration fait partie du jeu, elle est légitime, mais il faut fixer des limites.

BIOEXPRESS LAURA MAURICIO

Naissance

Le 2 juillet 1996. Grandit à Courtepin, habite à Fribourg.

La vie de tous les jours

Assistante de recherche en économie politique et du développement à l’Université de Zurich ainsi qu’au Center for Security Studies à l’EPFZ, où elle est également étudiante en sciences politiques.

La vie sur les terrains

Officie en Women Super League ainsi qu’en 2e ligue interrégionale. Fait partie de la Referee Academy de l’ASF.

LM: Instinctivement, un tamis s’installe dans l’oreille et joue le rôle de filtre. Des remarques rentrent et ressortent. Il m’arrive de me dire que pour calmer le jeu, il vaudrait mieux laisser couler. Mais parfois, les joueurs et joueuses ne nous laissent pas le choix.

JS: Et c’est là que je te tire mon chapeau. Il m’arrive de devenir fou devant ma télé constatant l’attitude des footballeurs envers les directeurs de jeu. J’ai l’impression qu’il y a moins de théâtre dans le hockey sur glace…

LM: Je me suis dit la même chose en regardant des vidéos d’arbitres de hockey équipés d’un micro. Le contenu et le ton des discussions m’ont frappée. C’est une discussion d’égal à égal. Au foot, on est plus dans la confrontation.

JS: Dans mon village, j’entraîne des petits de l’école de foot. Un jour, les vétérans, qui jouent juste après, m’ont demandé de rester pour arbitrer. J’ai accepté, mais je n’aurais pas dû… Je me faisais aboyer dessus comme pas permis. Plus on monte de niveau, plus les joueurs sont éduqués j’imagine. Mais là, c’était terrible. J’ai rendu mon sifflet. Plus jamais.

LM: C’est pour cette raison que c’est si difficile de garder les jeunes arbitres. Une fois passé la 3e ligue, tout devient plus facile. Mais avant, entre les parents et les joueurs, pas facile de s’imposer quand on a 17 ou 18 ans.

Le règlement, vous le connaissez vraiment par cœur?

LM: Il le faut, car c’est notre fonction première dans le jeu. Si on a le malheur de commettre une erreur technique, alors l’équipe lésée peut déposer protêt. D’où l’importance d’être irréprochable.

JS: Tu as plutôt intérêt à connaître ton règlement comme il faut. Car si un coach le maîtrise mieux que toi… Aïe aïe aïe! Chris McSorley, c’était le meilleur pour ça. Il le connaissait mieux que certains arbitres et jouait là-dessus.

Racontez-nous la fois où vous avez manqué de respect à un directeur de jeu…

LM: Paradoxalement, ça m’arrivait plus souvent lorsque j’avais déjà commencé l’arbitrage. Du fait que je connaissais très bien le règlement, je ne supportais pas certaines décisions, que je savais fausses. Je me souviens notamment avoir contesté un hors-jeu.

JS: Moi… (il réfléchit longuement).

Vous n’allez pas nous faire croire que ce n’est jamais arrivé. Vous avez connu plusieurs saisons à plus de 50 minutes de pénalité!

JS: Pour des fautes, par pour réclamation! Je dois cependant confesser qu’aux engagements, le centre que j’étais s’énervait au plus haut point lorsque les arbitres ne lâchaient pas le puck. Il y a toute une procédure à suivre, que je comprends mieux aujourd’hui, même si je la connaissais déjà. Si l’arbitre avait le malheur de lâcher le puck alors que je n’étais pas prêt, il arrivait que, malencontreusement, ma canne frotte sa jambière à l’engagement suivant, histoire de bien montrer que je n’étais pas très content.

Que pensez-vous de l’arbitrage vidéo?

JS: Je suis clairement pour. La vidéo permet d’éviter un tas de mauvaises décisions. Avec tout l’argent en jeu de nos jours dans le sport, les conséquences peuvent être gigantesques. Et de toute façon, qu’elle soit bonne ou mauvaise, une décision fera causer. Heureusement, le calendrier de la saison de hockey permet de rapidement passer à autre chose.

La FIFA certifie le système d’assistance vidéo à l’arbitrage de Dartfish

LM: Oui, la VAR rallonge les matches. Oui, il est parfois pénible de voir un hors-jeu sifflé pour un talon qui dépasse. Mais plus globalement, l’assistance vidéo rend le jeu plus juste et minimise le risque de scandales. La VAR est récente dans le foot, son utilisation va encore être optimisée, j’en suis sûre.

Qu’est-ce qui est le plus dur à juger: une faute de main ou un but du patin?

LM: Etre arbitre, ça veut dire se déplacer et regarder en même temps. Une combinaison de plusieurs qualités dont beaucoup de gens ne se rendent pas compte. Ce qui me rend d’autant plus admirative de votre travail. Sur la glace, l’espace est tellement confiné, avec une énorme densité de joueurs et de l’action partout. En foot, on a plus d’espace et plus de temps pour voir les choses.

JS: Mais nous sommes un de plus!

Pour deux fois moins de joueurs à surveiller!

JS: Disons que tu as quand même intérêt à regarder au bon endroit au bon moment.

LM: Quand tu vois que deux joueuses s’accrochent, tu as tendance à regarder le haut du corps. Et finalement, c’est en bas que la faute aura lieu. Tout ça pour dire que même en apprenant à anticiper, on ne peut jamais tout voir, quel que soit le sport.

JS: Pour en revenir à la question initiale… Je vois un point commun entre la faute de main et le but du patin: l’éternel débat autour de ces deux situations.

LM: Mais est-ce que c’est aussi une question d’interprétation dans le hockey, ou c’est plus facile à déterminer?

JS: Le règlement ne change pas mais l’interprétation oui. C’est compliqué, même en faisant recours à la vidéo. J’ai pu l’expérimenter pas plus tard que cette saison à Fribourg, lors du match entre Gottéron et Davos au mois d’octobre. Un Grison a marqué du patin, mais le but était valable du point de vue du règlement. Alors que tes pulsations montent à 160, les images que tu vois apparaissent sur l’écran géant. Forcément, le public gueule.

LM: Le plus important, c’est de garder une ligne sur l’ensemble d’un championnat ou d’une compétition. Les problèmes commencent lorsqu’une décision s’éloigne de cette ligne. Nous avons une grille avec différents critères et nous tâchons de nous y tenir.

Qu’est-ce qui appartient au hockey sur glace ou au football que vous aimeriez exporter dans votre corporation?

JS: La couleur des maillots. Ce serait pas mal de pouvoir changer de style d’un match à l’autre (rires).

LM: La culture de l’erreur. Tu te trompes en tant que joueur? Moi aussi, alors trouvons un terrain d’entente et faisons avancer le jeu ensemble. On parle, on s’explique, on va de l’avant. A mon avis, le foot aurait intérêt à s’inspirer du hockey, du rugby et d’autres sports.

Le huis clos, à certains égards, ça vous manque?

JS: Absolument pas.

LM: C’est une sensation horrible que d’entendre son sifflet résonner. Bon, c’est vrai, les matches de foot féminin attiraient en général moins de spectateurs. Mais quand même, il y a un bruit de fond, tu entends le feed-back du public et celui-ci m’avait manqué pendant la pandémie.

«On ne peut jamais tout voir, quel que soit le sport»
Laura Mauricio

JS: Plus c’est plein et plus chaud, mieux c’est. De toute façon, je suis dans ma bulle aussitôt que le premier puck est lâché.

Complétez cette phrase: les simulateurs méritent…

JS: D’avoir l’étiquette du tricheur collé à la peau. Heureusement, c’est déjà le cas dans notre sport.

LM: Cette étiquette, ils la mériteraient aussi dans le foot. C’est devenu banalisé, on en rigole. Je regrette que la pression du groupe ne soit pas plus forte. Cela dit, j’ai pu constater que les simulations étaient beaucoup moins nombreuses dans le foot féminin.

JS: Pourquoi cette différence à ton avis?

LM: Sûrement une question d’habitude. Ça l’est devenu chez les hommes alors que les femmes sont juste là pour jouer au foot. Enfin, c’est sûrement plus complexe que ça.

Le plus beau compliment qu’on puisse faire à un arbitre?

JS: Tout simplement que quelqu’un nous dise qu’on a été bons, alors que le match était tendu.

LM: C’est toujours gratifiant quand un joueur souligne que nous avons tenu la rencontre malgré le contexte difficile.

La bonne résolution que les joueurs et joueuses devraient prendre?

LM: Qu’elles continuent à faire ce qu’elles font. C’est magnifique de voir décoller de l’intérieur le foot féminin. Ce dernier mérite sa place sous les projecteurs, ses protagonistes aussi, et je suis convaincue que ce n’est que le début.

JS: Les «miens» devraient passer moins de temps à regarder le ralenti de leur action sur l’écran géant et plus nous écouter.

L’arbitrage vous aide-t-il dans votre vie de tous les jours?

BIOEXPRESS JULIEN STAUDENMANN

Naissance

13 avril 1981. A grandi à Péry dans le Jura bernois, habite à Grandcour avec son épouse et ses trois enfants.

La vie de tous les jours

Responsable des ventes chez Valser.

La vie sur la glace

A joué en Swiss League de 2003 à 2013 sous les couleurs d’Ajoie, de Lausanne et de La Chaux-de-Fonds (489 matches, 193 points). Officie comme arbitre principal en Swiss et en National League.

JS: Oui et non. Ayant toujours travaillé à côté du hockey, l’autodiscipline induite par l’arbitrage fait partie de moi. En plus de tout ça, je suis directeur général de ma famille, avec la présidente du CA et trois jeunes actionnaires au-dessus de moi. Il en faut, de la discipline, pour allier travail, famille et hockey. Mais d’une manière générale, l’arbitrage permet de relativiser. Après une mauvaise prestation, on prend sa douche, on ferme le vestiaire et on retourne à sa vie de tous les jours. Et pis quoi? Ce n’est qu’un match.

LM: Je suis d’accord. On prend plus facilement du recul, on se dit que le ballon va rouler quoi qu’il arrive. Autre avantage: l’arbitrage t’oblige à être méthodique au niveau de la préparation.

JS: Mais tu as beau contrôler l’alimentation, ta préparation, le règlement, il subsiste une partie de magie sur laquelle tu n’as pas d’emprise. Tout ce que tu ne peux pas maîtriser, ça fait partie du spectacle.

LS: L’autre truc chouette avec le football, c’est qu’il me fait sortir de ma bulle. Hors du milieu universitaire, je vis d’autres interactions. Avec l’arbitrage, on apprend à développer une capacité à s’adapter à différents milieux, ce qui est très important.

Alors, prêts à inverser les rôles?

LM: Je ne sais pas très bien patiner, mais pourquoi pas?

JS: J’ai déjà testé chez les vétérans, c’est non. Je le répète: chapeau Laura, chapeau!

LM: A ta place, je serais toujours sur le qui-vive. Il me semble qu’il se passe toujours des petites altercations dans votre dos, ce qui est nettement moins courant sur les terrains de football. Bon, j’imagine que ça aide de faire 1,90 m quand il faut aller se mettre entre deux bagarreurs.

JS: Sûrement, mais l’aura fait également beaucoup. Brent Reiber, un ancien arbitre, ne dépassait pas le 1,80 m, or il avait cette emprise sur le jeu, ce petit quelque chose qui faisait qu’on le respectait.

LM: C’est pourquoi nous, arbitres féminines, devons chercher à travailler plus vite que nos confrères masculins le développement de la personnalité. Car c’est quand même plus difficile de s’imposer quand on mesure 1,65 m.

JS: En parlant de Brent Reiber, il est passé au foot, non?

LM: Oui, il est intervenu quelques fois dans notre formation. Les parallèles qu’il tire entre le hockey et le foot sont intéressants, notamment sur la manière d’utiliser la vidéo. Il a ce côté très humain et très axé sur la communication.

JS: C’est bien, car il faut changer l’image de l’arbitre avec lequel tu ne peux pas discuter. C’était comme ça à mon époque. L’arrivée d’anciens joueurs dans la corporation aide. Cela pourrait être la même chose au foot.

Du tac au tac

Quel cadeau aimeriez-vous recevoir?

JS: Un nouveau genou.

LM: Des skis de randonnée.

Quelle résolution n’allez-vous pas prendre pour 2024?

JS: Arrêter de boire la bière d’après-match. Sauf le mois prochain, car c’est Dry January!

LM: De dépasser ses limites à l'entraînement sans prendre le repos nécessaire. Je dois mieux écouter mon corps. La preuve: on m’a diagnostiqué un début de fracture de stress durant l’automne.

Quel petit gueuleton choisissez-vous pour le réveillon?

JS: Fondue bressane trois poulets, petite salade, le rêve.

LM: Des raviolis maison de la nonna. Ma grand-maman italienne en faisait des très bons.

Quelle est l’image que vous retenez de 2023?

JS: Celle des jeunes qui passent trop de temps devant les écrans. J’en ai trois à la maison, je sais de quoi je parle.

LM: La vue de l’île de Manhattan depuis Gantry Park, dans le Queens. New York, où j’ai vécu durant la moitié de l’année, m’a permis de prendre du recul sur quelque chose de bien plus grand que moi.

A qui balanceriez-vous une boule de neige?

JS: A mon meilleur ami, qui ne répond jamais à mes messages. Il m’énerve!

LM: A nos équipes nationales de football. Pas un tir méchant, juste de quoi les réveiller pour la nouvelle année.

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Laura Mauricio et Julien Staudenmann. pas le même maillot, mais la même passion

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